Histoire d’O, de Pauline Réage

Histoire d’O, de Pauline Réage


Histoire d’O

Auteur : Pauline Réage.
Genre : Érotique. BDSM.
Longueur : Roman. 200 pages environ (sans compter le texte additionnel : Retour à Roissy).

Résumé : Les mains liées dans le dos, nue et les yeux bandés, O pénètre dans le château de Roissy, guidée par deux jeunes filles très belles aux robes d’un autre temps retroussées sur leur ventre et leurs reins nus. O passera quinze jours dans ce château où l’a amenée René, son amant adoré. Les sévices subis sont chaque jour renouvelés. O est offerte et prise, fouettée et murée dans le silence, O commence l’apprentissage de l’esclavage. Par amour pour René, O ira très loin dans la négation de soi. Elle abdiquera toute volonté et perdra définitivement sa liberté. Et si O change de maître, c’est pour mieux éprouver les plaisirs extrêmes qui résident dans le fait d’être totalement livrée, corps et âme au sens strict, à un homme qu’on aime et qui aime en retour. C’est un voyage sans retour qu’O entreprend dans des contrées méconnues où le plaisir naît d’une souffrance intolérable. –Aurélie Scart

Avis : En attaquant Histoire d’O, je savais déjà parfaitement ce que j’allais lire (j’avais vu le film, dans mon adolescence, lu je ne sais combien d’articles sur ce roman, lu je ne sais combien d’extraits et d’analyses à ce sujet…) : la soumission, extrême, paroxystique, l’enfermement d’O dans un lieu où elle était réduite à l’état d’esclave avec d’autres femmes, le don à un autre maître, son amour pour l’homme qui la plonge là-dedans, la marque au fer rouge…

Ce à quoi je ne m’étais pas attendu, c’est à l’incroyable esthétisme du style. J’avais lu des extraits, c’était beau. Lire le roman dans son intégralité est une toute autre expérience. Le style est formidable, de ce genre de prose qui pourrait me faire tout lire, quel qu’en soit le contenu, juste pour le plaisir de le savourer.

Je ne m’étais pas attendu non plus à ce qu’O soit si fascinante. Difficile de la comprendre. Sa soumission est tellement extrême, les sévices qu’elle subit tellement violents… Et, finalement, c’est ce qui la rend fascinante. Tout le long du roman, je me suis interrogée à son sujet, ne sachant si je devais la considérer réellement comme libre, dans sa conception personnelle, ou aliénée, comme saine d’esprit ou folle… Sur la fin, je me suis dit vraiment qu’elle était folle : quand elle est prête à participer à un plan visant à emmener de force son amie Catherine dans ce lieu d’esclavage qu’est Roissy, quand elle est prête, à défaut, à y entraîner (bien que consentante) une adolescente de 15 ans… Quand elle parvient à atteindre carrément le niveau de la mutilation, avec ses marques au fer rouge et ses lèvres intimes percées de maillons dont le diamètre nous est décrit comme de celui d’un gros crayon, et qu’elle n’en tire qu’une infinie fierté…

Du début à la fin, le parcours d’O est fascinant, parce qu’elle est d’une complexité extrême et que, plus l’auteur nous la décrit, nous l’explique, plus elle reste mystérieuse, finalement. Parce qu’elle plonge dans des extrémités telles et avec tant de satisfaction qu’il est impossible de ne pas se demander jusqu’où elle va aller. Parce que le roman est empli de symbolisme à tous les niveaux : de l’amour sans failles pour son homme qu’elle élève, dans son adoration, jusqu’à l’état de dieu, jusqu’à l’état où, dans l’extrémité de sa soumission, elle finit par s’élever elle-même, à la fin, lorsque vêtue uniquement de son masque d’oiseau, nue et marquée avec sa chaîne entre les jambes, elle pose telle une divinité devant un cercle de visiteurs troublés.

Quant à la langue, elle vaut la lecture à elle seule : magnifique, riche, précieuse, d’une qualité littéraire fabuleuse… Et à l’image d’O, finalement : de sa vision totalement magnifiée de son état de soumission, pleine de grandeur, de délicatesse et de fierté.

Je n’ai pas lu le texte additionnel : Retour à Roissy. A ce qu’en dit la note d’auteur, ç’aurait été une fin écrite initialement qui n’a pas été conservée, pas plus qu’assumée, ensuite. Une autre fin proposait carrément la mort d’O après que son maître l’ait rejetée. J’aurais été curieuse de les lire car, plus j’arrivais vers la fin, plus il me semblait net que la fin d’O ne pourrait être que tragique, et c’est ce qui semble effectivement avoir été écrit. Pourtant, l’auteur a choisi d’arrêter son histoire après cette scène, où O est élevée, malgré l’horreur de sa condition et de ses mutilations, à un état de déesse autant effrayante que fascinante et, si ça m’a laissé le sentiment d’une  fin brutale, tronquée, j’ai finalement apprécié que ce récit se termine sur cette note. Je n’ai pas eu envie d’aller voir jusqu’où sa déchéance pourrait la pousser.

Que l’on adore ou déteste cette œuvre (et je ne doute pas le moindre instant qu’elle puisse provoquer des sentiments aussi forts), il s’agit en tout cas d’une œuvre majeure de l’érotisme et du BDSM et d’un texte dont les qualités artistiques sont indéniables, et qui ne peut pas laisser indifférent. Si je ne peux pas dire que j’ai « aimé » le parcours d’O, qui m’a plutôt provoqué des sentiments extrêmement divers et beaucoup d’interrogations, lire ce roman a été une expérience troublante, fascinante et riche qui, malgré tout ce que je pensais déjà savoir à son sujet, l’a fait entrer dans les œuvres qui me marqueront à vie.

Extrait :

Le taxi part doucement, sans que l’homme ait dit un mot au chauffeur. Mais il ferme, à droite et à gauche, les volets à glissière sur les vitres et à l’arrière ; elle a retiré ses gants, pensant qu’il veut l’embrasser, ou qu’elle le caresse. Mais il dit : « Tu es embarrassée, donne ton sac. » Elle le donne, il le pose hors de portée d’elle, et ajoute : « Tu es aussi trop habillée. Défais tes jarretelles, roule tes bas au-dessus de tes genoux : voici des jarretières. » Elle a un peu de peine, le taxi roule plus vite, et elle a peur que le chauffeur ne se retourne. Enfin, les bas sont roulés, et elle est gênée de sentir ses jambes nues et libres sous la soie de sa combinaison. Aussi, les jarretelles défaites glissent. « Défais ta ceinture, dit-il, et ôte ton slip. » Cela, c’est facile, il suffit de passer les mains derrière les reins et de se soulever un peu. Il lui prend des mains la ceinture et le slip, ouvre le sac et les y enferme, puis dit : « Il ne faut pas t’asseoir sur ta combinaison et ta jupe, il faut les relever et t’asseoir directement sur la banquette. » La banquette est en moleskine, glissante et froide, c’est saisissant de la sentir coller aux cuisses. Puis il lui dit : « Remets tes gants maintenant. » Le taxi roule toujours, et elle n’ose pas demander pourquoi René ne bouge pas, et ne dit plus rien, ni quelle signification cela peut avoir pour lui, qu’elle soit immobile et muette, si dénudée et si offerte, si bien gantée, dans une voiture noire qui va elle ne sait pas où. Il ne lui a rien ordonné, ni défendu, mais elle n’ose ni croiser les jambes ni serrer les genoux. Elle a ses deux mains gantées appuyées de chaque côté d’elle, sur la banquette.

 

Prix : 6.10 euros (papier).

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